Mon projet est un bref essai sur l’immigration, le temps que j’ai passé au Canada et la manière dont cette expérience m’a transformé.
Rêves
Neuf ans. Je vis au Canada depuis neuf ans. Ce chiffre pourrait représenter une vie entière pour certaines personnes ou un instant pour d’autres. À titre indicatif, 60 % de ma vie s’est déroulée au Canada, donc 60 % du temps que j’ai passé à dormir dans ma vie, 60 % du temps que j’ai passé à lire, et 60 % du temps que j’ai passé à jouer à des jeux vidéo. Parfois, pendant que je suis étendu dans mon lit et que je joue avec mon chat (et quelques fois pendant les cours d’anglais aussi), j’imagine la vie que j’aurais pu avoir si j’étais resté en Chine avec un mélange de curiosité, de peur et d’espoir.
Dans les rues bondées de Shanghai, il y a des dizaines de petites boutiques au-dessus desquelles scintillent des enseignes en néon DEL. Les vendeurs s’époumonent à annoncer des aubaines, pendant que des gens jouent aux échecs sur le trottoir. Je marche avec ma grand-mère, le vent frais souffle sur ma peau et je dois me concentrer pour éviter les autres piétons. L’air brumeux sent la soupe, l’encens et l’essence qui sort des tuyaux d’échappement. Dans ces rues, dans ces marchés, tout le monde me ressemble.
Quand j’étais en Chine, je ne m’étais jamais rendu compte que tout le monde me ressemblait. Dans ma rue, tout le monde aimait la même musique, tout le monde écoutait le même poste de radio, tout le monde aimait les mêmes plats et tout le monde portait les mêmes vêtements. Tous mes amis regardaient les mêmes dessins animés, jouaient avec les mêmes jouets et apprenaient les mêmes choses.
À Toronto, je vois rarement des gens qui me ressemblent. Au même coin de rue, il peut y avoir un restaurant halal et un McDonald. Je peux jouer au volley-ball avec une personne née de l’autre côté de l’océan. Je connais une rue où, à seulement quelques pas de distance, se trouvent une mosquée, une synagogue et un temple bouddhiste. Si j’étais resté en Chine, je n’aurais jamais pu voir, ni même imaginer, ce genre de choses.
En 2014, après mûre réflexion, mes parents et moi avons décidé d’émigrer au Canada, à Saskatoon. Je ne sais toujours pas précisément pourquoi nous avons fini par jeter notre dévolu sur cette ville, mais je suis certain que mes parents voulaient s’y rendre pour concrétiser leurs rêves. Quand l’avion a atterri au Canada, la couleur et les traits des visages des agents de sécurité m’étaient inconnus. En allant récupérer mes bagages, j’ai vu des gens qui portaient des hijabs, des gens en tenue d’affaires et des gens en short et en sandales. Mon monde a changé du tout au tout, d’autant plus que j’ai continué mon éducation sur les bancs d’une école catholique. Dans ma classe, il y avait bien sûr des gens du Canada, mais aussi des Philippines et des États-Unis, et même une personne originaire d’Afrique, et seulement une autre qui venait de la Chine. J’étais à des années-lumière de mon pays natal où tout le monde se ressemblait, s’habillait pareil et aimait les mêmes choses. J’allais parfois dormir chez mon ami asiatique après nos jeux sportifs : nous passions alors la journée à jouer au Xbox. Puis, le lendemain, je pouvais décider d’aller manger de la poutine et d’écouter du rap avec mes amis canadiens. Je me suis fait des amis de multiples cultures et croyances, avec des goûts musicaux diversifiés, si différents les uns des autres.
Aujourd’hui, j’habite à Toronto. J’ai commencé à jouer du trombone. Si je vivais encore en Chine, je ne me serais peut-être pas découvert une passion pour la musique et je n’aurais jamais rencontré les amis que j’ai aujourd’hui. Les diverses cultures auxquelles je m’ouvre m’aident à appréhender le monde sous différents angles. Les expériences de mes camarades de classe et des autres personnes que je rencontre me font découvrir de nouvelles réalités. Si je n’avais pas immigré, je n’aurais peut-être jamais compris ce que ça signifie de faire partie d’un groupe minoritaire. J’ai élargi mes horizons en m’intéressant aux autres. Quand on vit dans un environnement monocultural, on a souvent une perspective étroite sur le monde, alors que quand on évolue dans un milieu multiculturel, on baigne dans une corne d’abondance de musique, de nourriture, de célébrations culturelles, et surtout, de perspectives. Je ne veux toutefois pas perdre ma culture. Je rêve encore à la vie que j’aurais pu avoir si je n’avais pas quitté la Chine. Je veux m’enraciner profondément dans ma culture, puisque la perdre reviendrait à perdre une partie de mon identité et de la contribution que je veux apporter à la pollinisation des cultures.
Qu’est-ce que je changerais au Canada? Rien du tout. Je ne changerais rien aux épreuves, aux expériences et aux apprentissages qui sont venus avec mon immigration au Canada : on y est à l’abri des problèmes, l’eau y est abondante pour les cultures, la soif de connaissances y est encouragée, on s’y plaît à échanger différents points de vue. Toutes ces choses m’ont permis de m’épanouir en tant qu’humain, ami et musicien, tout en alimentant mes rêves.